MORA PROKAZA – By chance
Tracklist :
1. WIMG
2. I’m not yours
3. Check it
4. I’m a human
5. I see it this way
6. Be there
7. Madonna
8. Sorry man
9. Blacker than black
Pensées et viscères
Parlons esthétique.
Je m’en fous de tout ça.
Il y a des groupes qui trouvent leur style.
Je veux juste m’y engouffrer.
Leur style c’est leur personnalité.
Envahis moi de ténèbres.
Le caractère unique de leur musique ou démarche artistique dans son ensemble.
Plonge moi dans un noir aveuglant, il faut te taire, perdre haleine et hurler, saturer mon cerveau bien fait.
Mais cela n’est pas créer une esthétique.
Il faut que tu le répètes encore, fais moi bruit et noirceur, bruit et noirceur enfin ! Fais de moi ton secret.
Quel sont donc les ingrédients de la création d’une nouvelle esthétique ?
Rends moi lâche rends moi fier ! Rends moi à toi ! Fais moi naître Dans l’ordure de ta sagesse !
L’esthétique c’est une chose, un phénomène artistique culturel et tangible et vérifiable.
Tu ne me fais plus dormir, au dessus de moi tu me scrutes, ton sourire me dévore, ton sourire me dévore.
C’est une pensée qui prend forme de manière concrète dans notre monde et qui va ainsi se traduire de manière formelle et construire ainsi des codes afin que la forme soit au plus près du fond, l’esthétique c’est l’enveloppe formelle et matérielle d’une idée, d’une pensée.
Combien de fois j’ai vomi pour toi, combien de fois j’ai éjaculé pour toi ?? Pas assez, pas assez, jamais jamais assez !
Ce qu’il y a de passionnant avec ça, c’est alors de constater les interactions entre l’abstrait et sa concrétisation, comme si l’idée muait lorsque nous tentions de la faire venir au monde…
Entouré par toi, pourquoi rechercher autre chose, je suis bien seul en ta compagnie ! Ils ont essayé, ils ont essayé de m’extirper de toi, je n’ai pas trahi notre lien j’ai arraché le visage de l’un d’eux.
Ainsi l’histoire de l’art et des formes regorge d’anecdotes sur le fait qu’un artiste ou artisan avait une idée et a utilisé une technique pour que celle-ci puisse se concrétiser et être partagée.
Tu m’entoures et deviens possessive à mesure que tu deviens une obsession.
Mais il arrive que le trajet inverse soit également fait : les limites matérielles obligent l’artiste à transformer sa vision ou son idée initiale. Quelquefois sur des détails (le requin de « Jaws »), d’autres fois sur un aspect crucial de l’œuvre, la transformant ainsi du fond à la forme (pour rester dans le cinéma l’ensemble de la saga « Alien », bras de fer entre visions artistiques folles et ambitieuses et opposées selon les réalisateurs et enjeux financiers complètement fous).
Alors je sors, je sors et je n’arrive pas à marcher, je me demande quel est ce monde, je suis sûr de moi et sais qui je suis en fait, mais chacun des passants n’est qu’un brouillard hasardeux se trainant, alors je me tords de rire pendant que tu convoites leur sérénité derrière mon oreille.
Ainsi, le monde selon Picasso est un inextricable labyrinthe de sensations et de perceptions d’une idée, ou même humblement d’une interrogation. En ce sens, peut-on considérer la Tektonik comme une danse ? C’est à dire comme un art ? Cela a-t-il du sens ? Au sens purement artistique sans doute, c’est un composite de plein de mouvements hérités d’autres danses, témoignant d’un melting-pot artistique certain dans un lieu et à un temps donné. Mais où est la folie de l’ambition de percevoir le monde, où est l’Idée ? En ce sens, culturellement, la Tektonik est intéressante, artistiquement, elle n’a aucune valeur. On parle des Hipsters ?
Je sens la chose ramper, je reste cloué au lit, et j’écoute, j’écoute ses grincements, j’écoute ses pleurs puis ses rires puis ses pleurs puis ses rires puis ses pleurs, et alors je souris, terrifié, et je bande aussi, le sang est partout.
L’Idée était-elle là avant le monde ou le monde a t’il insufflé l’Idée aux artistes ? En ce sens l’artiste n’est-il qu’un simple ingénieur destiné à reproduire pâlement toutes les forces et les énergies et les sensations offerts par la Nature ? Où a t’il cette capacité de transcender toutes choses et de faire découvrir ce qui se cache derrière les perceptions mensongères ?
Tu m’as fait tout découvrir, alors tu me lis des livres, des poèmes, et plus rien n’a de sens, j’oscille entre pleurs et fous rires. Est-ce là ton monde à toi ? Arrête de me raconter, parle-moi, arrête de dire la vérité ! Mens-moi ! Regarde-moi ! 5 kilos dissous en 9 jours, ces mots là me font disparaître ! Disparaître… Mon corps est une illusion, n’est-ce-pas ma Vérité ? Ce soir ? Dehors ? Qu’importe, c’est ce soir que tu m’emportes à nouveau, ce soir que je sors de la Tromperie. Corps illusion, cesse de sourire.
Viscères, corps, sens et tromperies
Mais l’art n’est pas la Vérité, reste une sensation, reste terriblement humaine (encore) et c’est bien souvent une arnaque mystique ou spirituelle même. O,5 pour l’effort devant les planche d’un Mura, devant un Bosch, ou un Courbet, et Baudelaire un fainéant se masturbant dans ses propres tourments de bourgeois rapaces.
Pourtant l’Art va donner forme à une Idée et cette Idée a comme berceau la conscience, et la conscience a besoin systématiquement d’être confrontée à elle-même et à ses limites, et d’interroger les perceptions qui la font exister… Alors aussi misérable que peut être un Baudelaire, aussi parano et puant que peut être un Polanski, aussi colérique et insupportable que peut être une Despentes ils sont des artisans d’une Illusion qui offre une nouvelle peau, de nouveaux yeux, un nouveau sang, et un nouveau cerveau comprenant cœur, tripes, et la mise à jour du logiciel Pura Ratio.
Rien de ce que je dis là n’est novateur ou puissamment réfléchi, c’est une base de questions et de certitudes éphémères appelées connaissances qui m’ont permises d’appréhender l’album que je vous propose de regarder un peu plus près !
Oui j’y viens ! Mora Prokaza ! Enfin on y touche, et on va bien le tripoter ce truc même ! Ah ! Juste avant d’en parler franchement retenez bien ceci : l’idée de beau dans l’art n’a pas d’autre finalité que sa beauté, donc le beau contient son propre but.
Invocation de l’abstrait, alchimie du miracle
Bref je suis surpris que ce que propose Mora Prokaza n’est pas vu le jour avant en fait… Il aura fallu attendre 2020 avant qu’un groupe de black metal ose pour de bon de mettre une influence ghetto ou du monde hip hop assumé tant dans l’esthétique visuelle, que dans la musique. Ça me surprend… Ça vient de Biélorussie et le mec a écouté MHD et bien d’autres.
A l’écoute de Mora Prokaza on pense inévitablement à l’horrorcore : les notes malsaines, l’ambiance malaisante, l’ironie désespérée, c’était un genre qui dans le hip hop avait déjà bravé des frontières. 2020… 2020 pour que je reconnaisse enfin un véritable apport musical et pas seulement d’attitude, une véritable fusion de style que peu (personne) ont osé croiser… Mais si ce n’était que ça…
Le plus fascinant c’est que Mora Prokaza crée sa propre esthétique. Le groupe invente :
Un rap hurlé à la cadence infernal, des phrases répétées come des sampling de la folie qui traverse le chanteur.
Des instruments atypiques utilisés non pas pour être original mais pour créer un fond musical s’apparentant à une boucle (évoluant peu donc) qui permettra au chanteur de mettre en avant son interprétation.
Les rythmiques aussi étranges, et les montées en puissance des morceaux, ou le côté black metal dans les instruments ne surgit que pour mieux se retirer ensuite.
L’ambiance inédite où l’on n’est ni dans une cave, ni une crypte, ni une église, ni en Enfer ou que sais-je encore… On est loin de tout ça, un ambiance nouvelle, psychotique certes (et ça c’est pas nouveau) mais ironique aussi (presque trollesque par moments) puis à nouveau très sérieuse. Il faut s’imaginer dans une fête foraine un peu pourrie où les gens sont heureux de ne pas s’amuser… La seule image qui me vienne en tête. Il faut dire que la plupart des repères des genres musicaux sont bafoués ou anéantis.
Mora Prokaza conserve uniquement le côté montée en puissance sur certaines compos et des riffs de guitare aux mélodies malsaines. Même son crié phrasé sort vraiment du lot : plus puissant qu’un Immortal, moins plaintif qu’un Burzum, moins evil que l’ensemble des formations, on sent un jeu s’installer, une conversation éprouvante se faire : on hurle, on parle, on rit, on murmure, on invective, on insulte, on se rapproche… On serait presque dans du théâtre.
Le groupe n’a rien laissé au hasard dans sa musique :
des instruments traditionnels oui mais pas tout le temps,
des instruments fantaisistes oui mais pas pour les mettre en valeur,
des montées en puissance oui mais tu les verras pas tant venir que ça on te coupera tout avant,
des musiques courtes et expéditives, pas d’epic-ness, pas de glauque appuyé ou surjoué
J’ai du mal à ne pas voir l’intérêt de tels apports, de tels contrecoups musicaux, on a tellement
l’habitude de tout entendre, que l’inhabituel peut sonner alors comme mauvais… Sauf que ce
n’est pas le cas ici… Pas d’escroquerie, Mora Prokaza s’est construit ses propres codes tant
musicaux que visuels, on y aperçoit du black et ce côté trap, on y perçoit d’énormes libertés
prises avec les deux genres en questions…
Cette combinaison étant en soi déjà audacieuse elle aurait pu constituer le principal intérêt de cet
album et de ce groupe.
Mais moi ça ne me suffit pas.
Vous vous rappelez pourquoi il y a des codes formels dans l’Art ? Pour que ça colle avec le fond.
Et Mora Prokaza propose de singulières idées.
Rien à foutre du passé et de l’Histoire des dieux nordiques ou des dieux Biélorusses ;
Rien à foutre de la spiritualité et du sacrifice pour une quelconque mystique cosmique anarchique ;
Rien à foutre de la haine, du dégoût, de la lassitude ou bien du désespoir.
Mora Prokaza ouvre une voie nouvelle, il s’en vante d’ailleurs (voilà un code bien connu celui de l’ego trip), il s’en moque aussi… Il se moque de lui, de vous, de moi. Le nihilisme à son paroxysme, ou quand la fin fait tordre de rire même pas par sadisme, parce que tout est blague, parce que tout est rien, parce que tout est black.
Une nouvelle attitude, un nouveau rapport au monde et à soi-même… Peut-être, nous verrons… Le temps de 33 minutes c’est certain.
Avant que le groupe devienne possiblement Eglise et Sanctuaire, il faut le piller tant qu’il sent la fraîcheur, tant qu’il est plein de suie, de gras, de noir, avant qu’il soit poli par la critique, les nombreux ‘bof’ qui sans comprendre condamneront, sans comprendre aimeront, oups…
Spleen et Idéal
Trop tard. Mora Prokaza s’émancipe de son environnement culturel, musical, éthique, sociale.
Finalement y’ ‘a pas plus black metal et plus libertaire !
Ne pas être le produit de son environnement c’est peut être ça la folie artistique, la Beauté Absolue, le pied de nez à l’anatomie, au temps, aux pensées conditionnantes qui nous gouvernent, à notre place dans notre société, à notre rapport à celle ci, aux souvenirs qui nous façonnent ! J’aime le croire… et puis : impossible n’est pas Biélorusse.